Décembre 2009, Paris, Barbès, une salle de concert noire, un cube moderne, froid, Fantazio sort un nouvel album, son deuxième, et le fête sur scène.
De la manche dans le métro avec sa contrebasse pour seul soutien, aux squats où les bananeux se perdaient dans un champ de crêteux, ou peut-être l’inverse, je ne sais pas à quoi m’attendre ce soir. Fantazio fait partie de la nébuleuse indépendante qui tend, depuis plus de trente ans qu’elle ne cesse de muter, à englober des styles et des approches musicales de plus en plus divers.
La salle affiche complet et je m’étonne du mélange que je découvre là. Une copine et quelques autres de l’aire des squats parisiens des années 90, des trentenaires que je soupçonne lecteur de Télérama, des psychos, de ceux cités plus haut, et jusqu’à un de mes anciens patrons (!…) qui semble, même là, fier de sa classe.
La scène paraît trop petite pour
accueillir les instruments posés épars, pas mal de micros aux spécificités
inconnues du profane et un grand dégingandé en pâle chemise hawaïenne (premier
contre-pied ?) protégé derrière sa contrebasse. On a toujours l’air grand
et dégingandé derrière une contrebasse, la chemise par contre… Certainement la
touche Fantazio. Il parle, il parle, il parle, s’appuyant sur son instrument comme
on imagine Verlaine ou Rimbaud déclamant sans queue ni tête, comptoir en place
de contrebasse, volumineuse béquille. C’est de l’italien, mais tout m’indique
que ceux de mes voisins qui entendent cette langue ne comprennent pas plus que
moi. Et quand Fantazio passe au français, la signification du babil me reste
tout aussi hermétique mais m’emporte dans un voyage pour je ne sais où. Magie
de la musique des mots pour qui sait les choisir. Manifestement, lui, le sait.
Premières notes, sons
éclectiques, l’ensemble du groupe entre en scène. Eux aussi, à l’image du
public, semblent parfois déboussolés par le jeu de celui qu’il convient à
présent d’appeler le chef d’orchestre.
C’est à un voyage musical auquel
nous sommes conviés. Fantazio joue sans nous imposer son discours. Il propose.
La musique se fait conceptuelle, pas de celle aux sons disparates, pas de celle
à la déconstruction recherchée et souvent hermétique, mais de celle qui ne nous
oblige pas à emprunter un chemin balisé.
Le spectacle m’entraîne dans une errance d’émotions et de
réflexions. Je flotte dans mon propre univers, la musique me fait dérouler un
fil de pensées personnelles. Des émotions et des sensations naissent, évoluent,
naviguent au gré des sonorités.
Jusqu’à quatorze personnes sur
scène dont un peintre projetant des images mouvantes proches du psychédélique.
Dommage que l’espace du concert ne propose que le traditionnel face-à-face,
groupe au-dessus, public en dessous, debout. J’aimerais m’asseoir pour
complètement me relâcher dans la perception musicale.
Fantazio me paraît mal à l’aise
et énervé, réclamant du public une réaction immédiate à sa musique dont
l’écriture me semble ne pouvoir relever que d’une longue recherche artistique.
Comment peut-on réclamer une compréhension immédiate puis, dans la foulée, une
réinterprétation d’un discours artistique mûri par un long travail, une longue
recherche, la création d’un langage musical ? Et ce langage, celui de ces
musiciens, ne relève pas de stéréotypes, d’artifices techniques.
Un bon musicien sait aujourd’hui
comment déclencher telle ou telle émotion, il sait guider le spectateur vers un
point, une émotion, un discours. Mais il sait aussi ne pas utiliser ces
techniques, proposer d’autres chemins d’écoute, au risque et à la joie
d’emmener sans contrôler ce même spectateur en des territoires où seul lui est
l’interprète. Fantazio fait partie de cette deuxième catégorie de musicien.
Son écriture ne cherche pas à
déclencher une émotion définie, elle laisse libre l’auditeur de ses réactions,
ses propres émotions, refusant d’utiliser un genre, un style, une culture, une
habitude. Ou comment inviter le spectateur à venir vivre son propre parcours
artistique plutôt que de lui proposer, imposer, le parcours du compositeur.
Pas de refrains ou si peu, pas de
phrases mélodiques au but programmé qui nous dictent la marche à suivre. À nous
de nous inventer l’histoire, de nous créer un chemin émotionnel, peut-être bien
loin du sien. Qu’importe.
Sur scène, ce soir-là, Fantazio
délivre un ensemble proche d’un album de free jazz. D’un album, pas d’un
concert car curieusement, il ne semble pas y avoir grand place à
l’improvisation, peut-être l’un de ses regrets. Du free jazz avec, aux tripes,
cette effervescence musicale qui n’en finit pas de renaître ou de mourir :
les 70’s, 80’ s, 90’ s, punk, psycho, rockab’…
Après trois heures de concert,
autre performance à mettre à son actif, Fantazio annonce la fin du voyage
musical. En douceur, j’atterris avec ce syllogisme en tête : une jeunesse
mature.
Se plonger dans la création de ce
musicien ne peut qu’être bénéfique car relevant d’une expérience artistique,
bonne ou mauvaise, à chacun d’apprécier, mais une expérience quoi qu’il
advienne, et donc, à vivre.
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Article publié dans les pages culturelles du journal Le Combat syndicaliste. Texte et illustration d'Alexandre Chenet.